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Miriam resta figée d’effroi.

Que se passait-il ? Pourquoi cette panique ? Et cet horrible mugissement perçu quelques minutes plus tôt. Les sirènes de la Seconde Guerre mondiale. Oh, non, ça n’allait pas recommencer !

Elle était trop effrayée, trop pétrifiée pour faire le moindre mouvement. Tout autour d’elle, les gens, épouvantés, se poussaient, se bousculaient, essayaient de fuir. Mais de quoi avaient-ils peur ? De bombardements ? De toute évidence, cela ne se produisait plus. Elle aurait dû s’intéresser de plus près aux nouvelles. Écouter plus attentivement ses voisins. Miriam se rappelait avoir entendu parler à la radio d’une certaine tension au Moyen-Orient. Mais depuis des années, c’était la même rengaine. Cela ne signifiait plus grand-chose. Ce n’étaient que des mots, nouvelles, des événements annoncés d’une voix tranquille par de jeunes commentateurs. Quel rapport avec elle qui de Chigwell où elle habitait, venait faire ses courses à Tesco, laver ses draps sales, gâter ses petits-enfants ? Aucun. Non, cela ne la concernait nullement.

Les yeux écarquillés, tout étourdie, Miriam se tenait à l’angle d’Oxford Street et de Marble Arch. A soixante-sept ans, elle se disait que cette journée de juin s’annonçait pourtant magnifique : chaude et ensoleillée, c’était une journée idéale pour sortir ! Tout son temps pour faire les magasins à la recherche d’un cadeau pour le mariage de Becky. Sa jolie petite-fille épousait un gentil garçon. Un beau couple. Arnold, qu’il repose en paix, que Dieu lui pardonne, aurait approuvé cette union. Le garçon -pas très séduisant, en vérité, mais la vie n’était pas toujours généreuse  – avait de bonnes manières et le sens des affaires. Becky apporterait la beauté dans le couple, et, connaissant bien la fille de sa fille, Miriam se disait que c’était elle qui tiendrait les rênes du ménage. Loin d’être un mariage voulu par le ciel, c’était plutôt le fruit d’un arrangement entre les futures belles-familles, ce qu’on avait coutume d’appeler un mariage de convenance à l’ancienne, encore qu’il restât quelques bonnes familles, fidèles aux traditions.

Qu’acheter ? Il ne fallait pas s’en faire. L’essentiel, c’était le prix qu’elle y mettrait. Un objet en verre, ou quelque chose de pratique. Ou les deux à la fois. Un service de verres en cristal, voilà l’idéal. Elle avait esquissé un sourire de satisfaction en trouvant cette idée.

Mais le sourire avait disparu avec le hurlement des sirènes.

Un jeune couple la bouscula, la plaquant contre une vitrine. La jeune fille trébucha et son compagnon la releva brutalement, repoussant d’une main Miriam. Il vociféra, mais Miriam ne put comprendre ce qu’il disait, car son cœur battait trop fort et elle avait les oreilles remplies des cris des autres. Le jeune couple s’enfuit en titubant, les traces de mascara sur les joues de la jeune fille soulignant la pâleur livide de son visage. Miriam, le souffle maintenant saccadé et court, les vit disparaître dans la foule. Elle appela, en silence, feu son mari : Arnold, dis-moi, dis-moi ce qui se passe. Il n’y avait plus de guerre, pas ici, pas en Angleterre. Pourquoi cette panique générale ? Que fuyaient-ils ? Les sirènes s’étaient tues. Mais pas les cris.

S’écartant du mur, Miriam tourna son regard vers le parc verdoyant. Elle avait prévu une belle randonnée, une balade jusqu’au lac où Arnold l’avait emmenée tant d’années auparavant. N’était-ce pas la première fois qu’il l’avait courtisée ? Quelle sotte ! Utiliser cette expression de nos jours ? Courtiser ! C’était alors une période agréable. Si... si innocente ! La vie avait-elle été réellement si innocente ? Pas avec Arnold. Que Dieu pardonne à son âme retorse. Il était tout de même bon. Et généreux...

Un coup dans le dos faillit la faire tomber. Les bonnes manières se perdent aujourd’hui. Plus de pitié pour les vieux. Plus de respect. Pis encore. Violer les personnes âgées, éventrer les bébés, telles étaient les nouvelles perversions. Quelle horreur !

Les gens se précipitaient dans les bouches de métro. Devrais-je les suivre ? Était-on plus en sécurité là-bas ? C’est ce qu’ils avaient l’air de penser. Si seulement je connaissais la nature du danger. Et puis qu’ils y aillent ; je ne vois pas ce qu’une vieille dame comme moi irait faire avec eux. Je me ferais écraser sous leurs yeux et ils s’en moqueraient. Des larmes se formèrent au bord de ses yeux. Oui, ils se moqueraient bien d’une vieille dame comme moi, Arnold. De nos jours, ces gens, ces...

Son regard fut attiré par quelque chose dans le ciel. Elle n’avait pas une très bonne vue mais il lui semblait qu’un objet tombait. A quelle vitesse il se déplaçait ! Etait-ce là la raison de leur effroi... ?

Ses yeux, irrités par les larmes, clignèrent et dans ce laps de temps, Miriam, les touristes, figés de peur, et les passants qui grouillaient autour d’elle, cessèrent d’exister. Leurs vêtements, leur chair, leur sang, et même leurs os disparurent. Miriam ne s’était même pas transformée en cendres. Elle avait été pulvérisée.

 

Le garage avait toujours vendu l’essence la plus chère de la ville, pourtant c’était l’un des plus fréquentés. Le propriétaire, occupé à remplir ses poches des billets du tiroir-caisse  – pour la plupart en coupures de cinq et dix livres, ceux d’une livre ne suffisant plus pour acheter de l’essence en ces temps de pénurie  –, savait que tout dépendait de l’emplacement. C’était l’atout essentiel pour un magasin, un café ou un garage. Être situé à un carrefour et dans Maida Vale impliquait des taxes élevées mais, en matière de rentabilité, il n’y avait pas mieux.

Howard se retourna avec un geste de mauvaise humeur en entendant une voiture klaxonner devant la pompe. Il n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Les sirènes d’alarme s’étaient tues et, si ce n’était pas une fausse alerte, en quelques minutes la ville allait être atomisée. Et cet imbécile voulait de l’essence ! Il eut un geste de colère à l’encontre de l’automobiliste qui lui répondit en désignant son réservoir.

Howard claqua le tiroir-caisse en y laissant quelque menue monnaie. Quelle importance, tout ça ! Il se précipita vers la porte sous les coups de klaxon qui redoublaient.

— Excusez-moi, pourriez-vous me faire le plein, s’il vous plaît ? fit l’automobiliste en baissant la vitre.

— Putain, vous parlez sérieusement ? demanda Howard, incrédule.

Des gens passaient devant le garage en courant, les voitures étaient pare-chocs contre pare-chocs, essayant de sortir de la ville complètement paralysée. Il entendait le bruit infernal des collisions.

— Je n’ai presque plus d’essence, insista l’automobiliste. Il ne m’en reste même plus pour rentrer chez moi.

— Eh ben, prends le train, mon pote ! s’écria Howard en courant vers sa voiture.

Il ouvrit la portière, puis se ravisa. Impossible de se frayer un chemin dans ces encombrements. Il valait mieux viser les sous-sols. Trouver une cave. Pas beaucoup de temps. Merde, je savais bien que la journée s’annonçait mal.

Il revint précipitamment vers l’automobiliste qui le regardait d’un air suppliant.

— Je vous en prie, fit-il presque en gémissant.

— Pour l’amour de Dieu, servez-vous tout seul.

Où aller, où se diriger ? Oh, merde, personne n’y croyait. Personne n’avait pris l’affaire au sérieux. Tout le monde savait qu’on était au bord de la catastrophe, mais personne ne pensait qu’elle arriverait un jour. Ce devait être une fausse alerte. A coup sûr.

— Laissez l’argent sur le comptoir, cria-t-il à l’automobiliste qui était descendu de voiture et examinait le tuyau de la pompe, apparemment sans trop savoir qu’en faire.

Howard jeta un regard à droite puis à gauche. N’importe quel immeuble conviendrait, pourvu qu’il ait une cave. N’était-ce pas ce qu’on leur avait dit ? Descendez au sous-sol. Peignez vos fenêtres en blanc, barricadez-vous avec des sacs de sable, gagnez la cave, construisez un abri, faites provision de victuailles, d’eau et restez-y jusqu’à la fin de l’alerte. Dieu du ciel, si seulement il avait de la peinture !

Il parvint à la porte d’un pub. C’était parfait, il devait y avoir une grande cave pour stocker la bière. Il poussa la porte mais elle ne bougea pas. Bon sang, ils ne pouvaient pas fermer, ce n’était pas encore l’heure ! Il essaya une autre porte puis, furieux, cogna à la porte-vitrée et s’aperçut que celle-ci était également fermée à clé.

— Les salauds ! hurla-t-il avant de se retourner pour jeter un coup d’œil vers son garage.

L’automobiliste semblait avoir trouvé comment marchait la pompe.

Howard se maudit d’avoir perdu du temps à vider le tiroir-caisse. Edie lui reprochait souvent sa radinerie. Peut-être avait-elle raison. Il devrait déjà être à l’abri dans une petite cave agréable. Une fausse alerte n’était tout de même pas à exclure. Rien ne s’était encore produit. Eh oui, bien sûr, se dit-il pour se rassurer. Ces sacrés imbéciles avaient commis une erreur. Si quelque chose avait dû se produire, ce serait déjà fait. Il jeta un coup d’œil à sa montre et la secoua. Impossible, elle n’avait pas pu s’arrêter ! Un long moment semblait s’être écoulé depuis le début de l’alerte. Il esquissa un sourire narquois. Quel idiot ! Il s’était sauvé comme les autres, en proie à la panique, demandant grâce à Dieu. Il voulut rire mais il ne sortit qu’un son étouffé de sa gorge.

Eh bien, mon pote, j’vais faire une chose, tu vas m’payer cette essence. Howard retourna vers son garage, son petit royaume, secoua la tête avec un étonnement résigné devant tous ces gens qui s’agitaient. Ses deux employés, qui avaient pris la fuite sans son autorisation dès qu’ils avaient entendu les sirènes, étaient bons pour une engueulade à leur retour. Tous des moutons de Panurge.

L’automobiliste remontait dans sa voiture.

— Hé, chef, arrêtez ! s’écria Howard. Vous me devez...

Un éclair aveuglant l’empêcha de terminer sa phrase. Il sentit soudain ses jambes flageoler et ses entrailles se liquéfier. « Oh, non... », Fit-il en gémissant quand il se rendit compte qu’il n’y avait plus de doute, l’instant fatidique était arrivé. Lui, son garage et l’automobiliste s’embrasèrent. Les réservoirs à essence, bien qu’ils fussent au-dessous du niveau de la rue, furent soufflés instantanément et les corps de Howard et de l’automobiliste, tout comme ceux qui étaient alentour, carbonisés.

Même ceux qui avaient été projetés en l’air furent brûlés vifs.

 

Jeanette (de son vrai nom Brenda) regardait à la fenêtre du huitième étage du Hilton de Londres, le regard plongé sur le vaste parc en contrebas. Elle alluma négligemment la cigarette qui pendait à ses lèvres peinturlurées, tandis que l’Arabe et ses deux jeunes compagnons cherchaient leurs vêtements partout dans la suite, le plus âgé sa gandoura blanche, les deux autres leur costume européen d’une coupe parfaite. Ces lopes méritent d’avoir peur, songea-t-elle sans grande rancœur, des volutes de fumée s’échappant de ses lèvres serrées. D’après les journaux, c’étaient eux les responsables puisqu’ils tenaient le monde à leur merci avec leur satané pétrole, boudant au moindre affront diplomatique et distribuant ou non l’or noir, selon leur humeur.

Ils agissaient comme des enfants gâtés qui donnent une fête chez eux : toi, Amanda, tu peux prendre du gâteau, mais pas toi, Clara, parce que, cette semaine, je ne t’aime pas. Maintenant ils étaient tous prêts à en payer le prix. La fête était finie.

Elle observait tous ces gens qui filaient dans la rue, ces cavaliers qui éperonnaient leurs chevaux le long de Rotten Row, ces amoureux qui, main dans la main, traversaient le parc en courant. Certains, résignés comme elle, étaient allongés dans l’herbe et attendaient la suite avec fatalisme. Jeanette tressaillit lorsqu’un piéton, essayant de traverser la rue, fut projeté sur le capot d’une voiture. De cette hauteur, on ne distinguait pas si c’était un homme ou une femme. Toujours est-il que l’individu en question était étendu sur la chaussée, inerte, et nul ne semblait s’en préoccuper. Au moins, pour elle ou lui, c’était fini.

Derrière elle, les Arabes s’invectivaient en enfilant leur pantalon, leur chemise. Le gros, plus âgé, fut le premier habillé car il n’avait que sa longue robe à mettre. Il se dirigeait déjà vers la porte, suivi des deux autres qui sautillaient, à moitié nus. Les imbéciles ! Le temps que l’ascenseur arrive, tout serait terminé. Et ils n’iraient pas loin par les escaliers.

Les sirènes avaient enfin cessé. Jeanette aspira la fumée de sa cigarette qui lui emplit délicieusement les poumons. Quarante par jour et ce n’était pas cela qui allait la tuer. Elle eut un petit rire saccadé, aigu et presque silencieux. Ses traits ne se faneraient jamais. Elle promena son regard dans la chambre d’hôtel vide et secoua la tête d’un air dégoûté. Ils vivaient et forniquaient comme des cochons. De quelle manière allaient-ils mourir ? Inutile de se poser la question.

Cependant elle en avait rencontré quelques-uns en faisant sa tournée de Park Lane qui étaient de vrais homme du monde et la traitaient avec respect et même douceur. C’était gratifiant. Ces temps-ci, elle avait appris à se montrer moins difficile. La meilleure époque, bien qu’elle n’eût pas été à la mesure de ses ambitions, avait été ce qu’elle appelait « les années de haut et de bas ». Cela avait été bénéfique pour une de ses connaissances, actrice médiocre, qui n’avait jamais percé, une femme surtout réputée pour ses appas et connue des hommes d’affaires louches avec lesquels elle couchait. Sa tactique l’avait amenée à épouser un milliardaire qui l’avait quittée très rapidement mais l’aventure lui avait rapporté très gros. D’innombrables vedettes et photographes de renom avaient ajouté à sa notoriété et grossi son compte en banque. La technique était simple, quoique parfois coûteuse.

L’hôtel où Jeanette descendait (comme jadis son amie actrice) était situé un peu plus loin dans Park Lane et avait un caractère plus anglais que le Hilton. Elle avait réservé la chambre la moins onéreuse (qui n’était d’ailleurs pas donnée) et passait le plus clair de son temps à monter et descendre dans l’ascenseur. Elle prenait l’ascenseur réservé aux clients (du dernier étage), traversait la vaste salle de réception et les salons, se dirigeait vers les ascenseurs, remontait au dernier étage puis redescendait par l’ascenseur réservé aux clients.

Elle atteignait presque toujours son but quand elle partageait l’ascenseur avec un, parfois deux hommes. Un petit sourire timide de leur part, un mot sur le temps, une invitation à prendre le thé, peut-être à dîner et le tour était joué. Elle s’en sortait toujours. Le personnel de l’hôtel s’en était vite rendu compte, mais ce type d’établissement, même de grande classe, autorisait une certaine liberté dans ce domaine. Du moment qu’il n’y avait pas d’ennuis, que les prostituées se montraient discrètes, qu’aucun vol n’était signalé, la direction fermait les yeux, tout en restant vigilante. Cependant, Jeanette n’avait jamais tiré le gros lot. Presque, mais pas tout à fait. Maintenant c’était un peu tard. Ses traits s’étaient un peu fanés, ses appas étaient moins attrayants. D’où le choix de Park Lane/Mayfair. Les rendez-vous étaient souvent pris par téléphone, mais le trottoir était aussi payant. Elle pouvait bien se passer de ces séances à trois participants ou plus, car c’était plutôt fatigant.

Elle retourna à la fenêtre et appuya la tête contre la vitre froide. Les cris des passants lui parvenaient. Ses yeux s’humectèrent. Était-ce le résultat final ? Tout cela pour en arriver là ? Au huitième étage d’un hôtel, nue comme au jour de sa naissance, le corps endolori après avoir été laminé par trois clients. La jouissance, les plaisanteries.

Jeanette s’écarta de la fenêtre et écrasa sa cigarette contre la vitre. Peut-être valait-il mieux attendre. Peut-être n’était-ce rien du tout. C’était ce qu’on pouvait souhaiter de mieux.

Elle cligna des yeux quand le monde ne fut plus qu’un éclair blanc, mais ses rétines s’étaient déjà pulvérisées. Son corps et la vitre s’étaient confondus tandis que la bâtisse s’écroulait.

 

La boule de feu s’éleva, propageant une onde de chaleur et tout ce qui était inflammable, tous les matériaux légers s’embrasèrent. La chaleur torride envahit les rues, faisant fondre tous les corps solides, carbonisant les passants qui grésillaient en se consumant, tuant tout être vivant dans un rayon de près de cinq kilomètres. En quelques secondes, survint une explosion qui, accompagnée de rafales de vent de plus de trois cents kilomètres à l’heure, se propagea à la vitesse du son.

Des bâtiments s’effondrèrent, les débris retombant comme des missiles mortels. Les vitres volaient en éclats. Des véhicules  – voitures, autobus, tout ce qui n’était pas à l’abri dans les sous-sols  – étaient propulsés en l’air, telles des feuilles au gré du vent, avant de s’écraser à terre. Les passants étaient soulevés et projetés contre les bâtisses qui s’écroulaient. Une pression intense faisait éclater les poumons, les tympans et les organes internes. Les réverbères devenaient des javelots de béton ou de métal, les câbles électriques, arrachés, des serpents oscillant dans une danse macabre. Les conduites d’eau éclataient et se transformaient en fontaines de vapeur bouillonnante. Les conduites de gaz explosaient de concert. Tout se mêlait à ce déchaînement de folie.

Au loin, les maisons et les immeubles, avec la différence de pression et sous l’effet de l’explosion, étaient soufflés. Tous ceux qui étaient surpris dehors voyaient leurs vêtements s’enflammer instantanément et leurs brûlures au troisième degré ne leur permettaient pas de survivre. D’autres étaient enterrés sous les décombres, certains tués sur le coup, la plupart agonisant lentement, en proie à des souffrances intolérablement longues, avant de succomber.

Les incendies se succédaient jusqu’à devenir un embrasement général.

 

L’officier de police John Mapstone devait se rappeler son cinquième jour d’intégration dans la police. Sa mémoire avait toujours été défaillante (heureusement, le niveau requis pour entrer dans la police baissait chaque année) mais, comme il n’avait plus que quelques minutes à vivre, ce ne fut pas un très gros handicap. Dès qu’il entendit le mugissement des sirènes, il sut où guider la foule. Il oublia aussitôt les deux rastas qui erraient devant la vitrine du magasin de jeans et se dirigea, d’un pas ferme et sûr, quoique vif, vers la bouche de métro d’Oxford Circus. Un coup d’œil jeté derrière lui, lui permit de constater que les rastas en avaient profité pour dérober une paire de jeans et un sac à bandoulière en toile. Bonne chance, mes petits, songea-t-il d’un air sinistre. Je vous souhaite de le porter longtemps.

Il essayait de garder l’équilibre au milieu de la foule qui le bousculait, espérant que quelqu’un arrêterait ces satanées sirènes qui ne faisaient qu’accentuer la pagaille. Les signaux rouges et bleus du métro londonien étaient juste devant lui et il fut aspiré par une masse haletante de bras et de jambes.

— Du calme ! criait-il à la ronde. Ne vous énervez pas.

Sans doute ses pommettes roses et son visage juvénile n’inspiraient-ils pas confiance. Personne ne tint compte de ses paroles rassurantes.

— On a largement le temps de se mettre à l’abri.

Il essaya de parler d’une voix calme, comme on le lui avait enseigné, mais le ton montait à la fin de chaque phrase. L’uniforme bleu est une marque d’autorité, avait dit le sergent instructeur aux recrues d’un ton péremptoire. Les gens s’attendent à ce qu’un agent en uniforme bleu leur dise ce qu’ils doivent faire. Ceux-là n’avaient certainement pas entendu un seul des sermons du sergent.

L’officier de police Mapstone fit une autre tentative.

— Je vous en prie, pas de précipitation. Tout se passera bien si vous ne vous bousculez pas.

Les escaliers étroits qui descendaient au métro semblaient engloutir la foule, et l’agent de police fut pris dans le flot. Les clameurs étaient horribles. Il chercha désespérément du regard un collègue, mais il y avait bien trop de monde pour distinguer qui que ce soit. Les gens avaient convergé vers les tourniquets électroniques de contrôle d’accès, provoquant un engorgement, mais ils passaient par-dessus ou par-dessous avec une hâte effrénée. D’autres fuyaient par les tourniquets de sortie, vers les escaliers mécaniques, dans l’espoir de se trouver bien au-dessous du niveau de la rue avant que l’impossible, l’incroyable, le « personne-n’est-assez-fou-pour-appuyer-sur-le-bouton » ne se produise.

L’officier de police Mapstone tenta de se retourner, les bras en l’air, tel le Roi Lear intimant des ordres à la marée qui affluait. Dans la bousculade, son casque se retrouva de guingois, avant de disparaître sous une masse mouvante d’épaules. Il ne pouvait que se laisser guider, à reculons ; ses bottes touchaient à peine le sol.

Si seulement tous ces gens faisaient preuve de bon sens, se disait-il. A quoi bon tout cela ? Mais la peur était contagieuse et elle ne tarderait guère à ébranler son calme précaire. Très vite lui aussi ferait partie du troupeau.

Son dos heurta une masse dure qui, selon toute vraisemblance, devait être le tourniquet de métal dont les barres, limitant les entrées, avaient été tordues et arrachées de leurs supports sous la pression de la foule, et Mapstone fut entraîné par la marée humaine. Il parvint à se tourner et à se remettre debout avant de se frayer un chemin vers les escaliers mécaniques, se servant de ses bras comme un nageur se débattant dans une mélasse épaisse et visqueuse. L’escalator montant s’était arrêté à cause de la foule qui le prenait en sens inverse, tandis que celui qui descendait semblait marcher normalement. Il s’y trouvait maintenant, et bien que le mouvement fût lent, il faillit perdre l’équilibre. Il essaya de saisir la rampe en caoutchouc mais il y avait trop de monde dans les deux sens. Un corps se laissa glisser le long de l’escalier central, entre les escalators, l’homme ayant compris que c’était le moyen le plus rapide pour descendre. Un autre le suivit. Puis un autre encore. Et ainsi de suite.

Des corps entremêlés, les bras dans tous les sens, s’accrochant à tout ce qui se présentait, glissaient à vive allure, s’efforçant de rester debout dans la cohue. Une main désespérée saisit un bras et s’y cramponna ; les corps s’entassaient. Le poids était trop lourd. Celui qui se trouvait dans les escaliers fut poussé en avant. Ceux de devant commencèrent à tomber, faisant trébucher les suivants. L’officier de police Mapstone se mit à hurler.

L’escalier mécanique, sous l’excès de poids, s’arrêta après quelques secousses. Ce fut alors une bousculade incontrôlée où tous les corps s’affalaient les uns sur les autres.

Bon nombre de ceux qui se trouvaient au centre tombèrent sur ceux qui étaient sur l’escalier adjacent, provoquant une autre avalanche humaine.

Malgré la vigueur de sa jeunesse, Mapstone sentait son ardeur faiblir ; il essayait de se maintenir debout, s’aidant de ses mains, essayant de saisir les rampes de chaque côté. Ce fut peine perdue. Il parvint à poser la main sur l’épaisse rampe de caoutchouc mais son poignet fut aussitôt happé par la foule. Il hurla de douleur mais son cri ne couvrit même pas les hurlements alentour. Sa vue se brouilla sous l’éclat étincelant des rais de lumière qui surgissaient pour disparaître aussi vite, créant un kaléidoscope cauchemardesque.

Avant que la nuit ne soit totale, avant que ses os et ses côtes ne pénètrent ses poumons, avant que sa gorge ne soit complètement obstruée par un genou qui n’avait aucune raison de se trouver là, et avant que tout bon sens ne quitte son esprit assiégé, il lui sembla percevoir un grondement sourd qui n’avait rien à voir avec le chaos qui régnait autour de lui. Un son qui avait l’air de jaillir des entrailles mêmes de la terre.

Oh oui, se dit-il d’un ton convaincu. C’était bien la bombe. L’instant tant redouté était survenu.

 

Eric Stanmore sentit ses genoux céder lentement et il glissa, adossé au mur.

« Ces salauds délirent », s’écria-t-il, incrédule. Personne ne l’entendit car il était seul. A deux cents mètres au-dessus de sa tête, dans Tottenham Court Road, des capsules paraboliques, captant des faisceaux hertziens à très haute fréquence, émettaient de tours beaucoup plus petites ; chacune formait un maillon dans la chaîne des stations à micro-ondes situées à des points stratégiques, dans tout le pays. Les signaux étaient canalisés vers des récepteurs radio, à la base de la tour géante des Télécoms, pour être passés sur circuit ou amplifiés et retransmis à travers un groupe d’antennes identiques.

Ses mains se portèrent vers ses yeux clos. S’ils avaient su ? Était-ce là la raison de la soudaine recrudescence d’inspections sur tous les systèmes de communications du gouvernement ? D’autres menaces avaient provoqué de telles réactions dans le passé  – beaucoup plus que le public ne le croyait  – et bien que la situation au Moyen-Orient fût très sérieuse, Stanmore avait considéré la dernière directive comme une procédure habituelle de crise. Il savait que les systèmes à micro-ondes joueraient un rôle important dans la défense britannique en temps de guerre, car on ne pouvait pas prévoir le degré de résistance des autres sections du réseau de télécommunications  – câbles souterrains et lignes à haute tension  – en cas d’attaque ennemie. Le système à micro-ondes s’avérerait inutile si l’ensemble du réseau se détériorait. Même si les câbles de relais étaient rompus, les faisceaux hertziens pourraient être dirigés vers d’autres le long de la ligne. La raison officiellement donnée pour justifier l’existence de ce système était de fournir un prétendu lien économique entre les trois plus grandes villes, Londres, Birmingham et Manchester, mais Stanmore savait que lors d’une opération coûteuse (qui datait de 1953, appelée à l’époque Pivot), le réseau avait été étendu pour couvrir des opérations gouvernementales. Bien des centres de contrôle départementaux, dont le but était de transmettre et d’exécuter les ordres du siège du gouvernement et des douze sièges régionaux, étaient situés près de ces relais. Stanmore savait très bien que la fonction première du système était d’assurer une liaison sans faille entre les centres de contrôle. L’un des lieux stratégiques les plus importants en temps de paix, quoique non crucial en temps de guerre, était la tour dont il s’occupait : la tour des Télécoms de Londres. C’était également le point le plus vulnérable.

Inutile d’essayer de regagner sa base où des abris adéquats -avaient été construits en cas de pépin  – il esquissa un sourire devant cette litote, mais sa bouche et sa mâchoire étaient crispées  – car la descente, même s’il parvenait à trouver un ascenseur, prendrait beaucoup trop de temps. Les sirènes s’étaient tues. Il restait peu de temps. Tout son avenir se déroula en quelques instants.

Stanmore fut pris de tremblements incontrôlables, secoué de sanglots en songeant à Penny, sa femme, Tracey et Belinda, ses deux petites filles. Sa maison était située à Wandsworth et l’école des enfants était proche. Penny essaierait d’atteindre l’école dès qu’elle percevrait l’horrible mugissement des sirènes. Elle n’y arriverait jamais. Elles mourraient chacune de leur côté, les petites ne comprenant pas l’importance des alertes, mais effrayées à cause des adultes, eux-mêmes sous l’emprise de la peur. Penny serait certainement dans la rue, courant vers l’école, épouvantée. Lorsque des pensées morbides avaient assailli leur esprit, au cours de leur vie conjugale (quand ni l’un ni l’autre ne parvenait à s’endormir, que le désir physique était assouvi et qu’il ne restait plus qu’à parler pour passer le temps), ils avaient envisagé de se barricader chez eux, de construire une forteresse bien équipée sous les escaliers, de suivre à la lettre les consignes de protection et de survie préconisées par les autorités locales et d’y séjourner jusqu’à ce que le pire fût passé.

Aucun d’eux n’imaginait  – ou, pour être plus franc, ne voulait admettre  – l’hypothèse d’être séparés. En toute connaissance de cause, ils auraient dû procéder à quelques arrangements, faire un pacte, au cas où une telle éventualité surviendrait. Maintenant c’était trop tard. Ils ne pouvaient que prier pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Que le reste du monde récite ses propres prières.

Il s’agenouilla et se tapit, le corps en avant, se couvrant le visage de ses mains.

Mon Dieu, faites que cela n’arrive pas, suppliait-il. Je vous en prie.

Mais cela arriva. La tour gigantesque fut soufflée par l’explosion et coupée en trois ; la partie supérieure, dans laquelle Stanmore priait, fut projetée sur près de quatre cents mètres avant de s’écraser en un amas méconnaissable. L’espace d’un instant, Eric Stanmore eut vaguement l’impression de flotter, avant d’être écrasé comme une crêpe par les machines et les masses de béton.

 

Alex Dealey courait à perdre haleine, la chemise blanche qu’il portait sous son costume gris déjà tachée de sueur. Presque inconsciemment, il tenait fermement la sacoche, comme s’il importait encore que l’on ne trouvât pas des documents gouvernementaux secrets dans la rue. Ou plutôt dans les décombres. Il aurait dû prendre un taxi, ou même un bus ; il serait arrivé à destination depuis longtemps et serait maintenant en sécurité. Mais en cette journée de juin, si agréable, si chaude, il avait été infiniment préférable de se balader plutôt que de prendre un moyen de transport fermé. Finie la belle journée, même si le soleil continuait à briller, haut dans le ciel.

Il résista à la tentation d’entrer dans l’un des nombreux immeubles de bureaux qui longeaient High Holborn et de se mettre à l’abri dans la fraîcheur de leur cave. Il en avait encore le temps. Il serait tellement mieux s’il parvenait à la destination qu’il souhaitait. Là, il serait totalement en sécurité. Et puis, il était de son devoir de s’y trouver en cette circonstance désastreuse, unique dans l’Histoire. Oh, Dieu, était-il si loin de ce quartier de bureaux pour traiter l’événement d’historique ? Même s’il n’était qu’un sous-fifre par rapport aux grands de ce monde, son apparence, son esprit portaient-ils déjà l’empreinte d’une froide logique, presque inhumaine ? Certes, il avait apprécié les privilèges accordés ; mais peut-être le plus important allait-il se présenter maintenant ? Si seulement il avait le temps d’arriver.

Une femme, devant lui, fit un faux pas et s’affala, faisant trébucher Dealey. Le trottoir lui égratigna les mains et les jambes. Il resta là un instant, se protégeant le visage contre les coups de pied et de poing alentour. Le vacarme était effrayant : hurlements et clameurs, coups de klaxon incessants car il était impossible d’avancer à cause des véhicules abandonnés par leurs conducteurs qui avaient fui en laissant le moteur tourner. Les horribles sirènes, dont les mugissements glaçaient l’esprit et le cœur, annonçaient le deuil qui bientôt...

Elles s’étaient arrêtées ! Les sirènes s’étaient arrêtées !

L’espace d’un bref instant irréel, le silence fut presque total. Les gens s’étaient figés, se demandant si tout cela n’avait été qu’une fausse alerte, un canular insensé. Mais certains, parmi la foule, avaient compris la raison de cet arrêt. Ils s’engouffrèrent sous les porches les plus proches. La panique éclata de nouveau quand d’autres se rendirent compte que l’holocauste n’était qu’une question de secondes.

Une moto grimpa sur le trottoir et faucha la foule, dispersant hommes et femmes, attrapant au passage les moins lestes et les renversant comme des quilles. Il n’avait pas vu la femme prostrée que Dealey avait fait tomber. La roue avant toucha son corps et la moto s’éleva en l’air ; le motocycliste, dont le cri fut atténué par la visière d’un noir sinistre qui lui couvrait le visage, fut propulsé encore plus haut.

Dealey se recroquevilla par terre tandis que l’engin lui passait au-dessus de la tête avant d’aller heurter de plein fouet une vitrine. Des étincelles et du métal jaillirent de la moto au moment où elle s’écrasa contre le rebord en pierre de la vitrine. Elle s’immobilisa, à cheval entre l’intérieur du magasin et la rue ; de la fumée sortait du moteur tordu, encore secoué de quelques soubresauts. Le motocycliste gémit tandis que du sang sortait de son casque fêlé et dégoulinait le long de son cou.

Dealey, vite relevé, s’était mis à courir, sans prêter la moindre attention à la femme qui se tordait de douleur sur le trottoir ni à la sacoche abandonnée qui contenait ses précieux documents ; il était seulement content d’être indemne et son plus vif désir était de rejoindre le plus vite possible son abri.

La station de métro, Chancery Lane, n’était pas loin. En l’apercevant, il reprit espoir. Il allait bientôt arriver à destination.

Mais le monde ne fut plus soudain qu’un éclair blanc aveuglant, et bêtement, car mieux que quiconque il aurait dû y penser, Dealey se retourna pour regarder.

Paralysé, aveuglé, il poussa un cri intérieur, s’attendant à l’inévitable.

Le rugissement menaçant, à vous briser les tympans, retentit, mais l’inévitable ne se produisit pas. Au contraire, il sentit des mains rugueuses le saisir et son corps fut projeté en arrière. Son épaule se fracassa contre une masse qui céda ; et il fut tiré. Il se sentit tomber, en même temps que quelqu’un ou quelque chose. La terre tremblait, le bruit était assourdissant, les murs s’effondraient.

La douleur cuisante aux yeux disparut pour laisser place aux fraîches ténèbres de l’inconscience.

 

Les premières explosions atomiques  – il y en eut cinq sur Londres et dans ses faubourgs  – ne durèrent que quelques minutes. Les nuages noirs, en forme de champignons, s’élevèrent très haut sur la ville dévastée, se rejoignant en une couche épaisse de fumée tumultueuse qui donnait au jour l’aspect de la nuit :

La poussière amoncelée et les fines particules ne furent pas longues à retomber çà et là sur la terre. Ce n’était plus simplement de la poussière et de la poudre. Mais bien les sinistres hérauts de la mort.

L'empire des rats
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